
Imaginez un long câble passant au-dessus d'une vallée où coule une rivière. Ce câble est tenu par deux points opposés. L'un au bord d'une falaise, et l'autre à l'orée d'un bois, de l'autre côté de la vallée.
La rivière représente notre mental, au flux de pensées ininterrompues, toujours actives.
Le câble, ce mince espace sur lequel nous nous trouvons en équilibre, représente notre état émotionnel en mouvement permanent, en adaptation permanente à notre environnement, en rééquilibrage permanent. On peut le voir aussi comme notre système nerveux autonome duquel nous sommes dépendant pour maintenir notre survie. Cramponnés dans la tempête, là où le vent souffle, où la pluie est battante, ou bien lors des calmes plats.
Vous me direz qu'un funambule en équilibre sur un fil n'est pas la première personne à laquelle on pense lorsque l'on imagine la stabilité émotionnelle, l'ancrage, le relâchement, encore moins le lâcher prise...
Le funambule est en constant rééquilibre, il est aux aguets, et il a parfois besoin d'une perche pour s'aider. Il avance pour passer d'un côté à l'autre de sa vallée intérieure.
Et bien, qu'on le veuille ou non, inconsciemment, à chaque seconde qui passe nous sommes réceptifs à notre environnement. Nos 10 sens (oui car il y en a 10 comme je l'expliquerai plus loin), via notre système nerveux autonome, captent en permanence les signaux de notre environnement direct et indirect, intérieur et extérieur. De la sensation la plus profonde au bruit le plus lointain. Cette capacité à être « à l'écoute » est garante de notre survie. Et c'est ce qui fait de nous des êtres en constant mouvement, en constante équilibration et adaptation.
La Vie, c'est l'adaptation constante par le mouvement constant.
Ainsi, notre funambule s'adapte, jauge, rétablit l'équilibre sur son fil, et avance, pas après pas, pour atteindre sa destination. Nous faisons de même, en constante adaptation avec des milliers de micros-émotions, micros-sensations, micros-pensées qui nous traversent à chaque instant.
Dans ma pratique (et dans la Vie !), je cherche à accompagner les gens dans plus de conscience corporelle et émotionnelle de ce qui se joue en eux. Qu'est-ce que je ressens quand je pense à ça ? Quand je dis ce mot là ? Quand j'imagine cette personne ? Quand je repense à cette situation ? Qu'est-ce que ça me fait comme sensation ? Quel mot me vient spontanément ? Quel émotion inconsciente se manifeste alors ? Quel ressenti ? Quel sentiment ? Est-ce qu'il y a quelque chose à changer dans ma perception ou dans ma croyance, et si oui, comment ?
Je parlais avant de 10 sens.
Il y a les 5 sens bien connus que sont l'ouïe, la vue, le goût, l'odorat et le toucher.
Parmi eux on pourrait dire que la vue est le sens qui nous sert le plus au quotidien dans l'évaluation consciente de notre environnement, et une grande partie des informations et des stress vécus passent par lui. Il n'y a qu'à voir la prépondérance des écrans et des images dans notre société moderne pour se rendre compte que ce canal est préférentiel dans le neuro-marketing notamment.
L'ouïe est le sens qui nous permet de percevoir notre environnement lointain, d'évaluer la structure d'un espace quand la vue fait défaut par exemple.
L'odorat est peut-être notre sens le plus primaire. Nos bulbes olfactifs, directement connectés à notre cortex limbique et notre hippocampe, sont en lien avec nos souvenirs les plus lointains et les plus archaïques. La fameuse madeleine de Proust...
Le toucher quant à lui, est notre sens au périmètre le plus restreint, renseignant sur notre environnement le plus proche, à portée de main.
Et il y en a 5 autres qui sont moins connus ou moins cités :
la proprioception, la capacité à sentir l'espace qu'on occupe et les mouvements que l'on fait dans cet espace
la thermoception, la capacité à sentir l'intensité des températures de son corps et de son environnement
l'équilibrioception, la capacité à sentir son équilibre corporel (ce qui renvoie à la fonction de l'oreille interne)
la nociception, qui est la capacité à ressentir la douleur
l'interoception, c'est à dire la capacité de sentir des sensations à l'intérieur de son corps
Nous avons 10 sens à notre disposition pour évaluer notre environnement.
Comme nous, notre funambule ressent tout ça sur son fil, et en permanence. Mais il n'en a pas forcément conscience. Et c'est tant mieux ! Car la conscience ne peut pas s'occuper de tout. Imaginez des milliards d'informations à traiter, nous deviendrions tous fous !
Non, le corps est décidément miraculeux, et notre funambule le sait, le sent. C'est pour cela qu'il peut continuer de marcher, pas après pas jusque de l'autre côté de sa vallée. La seule chose à faire est de continuer à maintenir notre attention sur nos sensations et nos émotions dans notre corps vécu, afin de savoir mieux nous respecter pour pouvoir mieux nous adapter, et choisir nos expériences à la lumière de cette connaissance.
Et vu de là-haut, sur le fil, la lumière doit être belle...

Et à l'intérieur de ce funambule, parmi toutes les sensations, émotions et ressentis liés à ces 10 sens, il y a la pensée. Et cette pensée, quand on y pense, est incroyable. Car nous pensons avec des mots, du vocabulaire, lui-même hérité de l'acquisition de notre langue maternelle. Et quand on y songe, nous pensons avec des mots, des phrases, de vrais monologues intérieurs, mais aucun mot n'est prononcé ! Avez-vous déjà perçu quel était le son de la voix qui parle lorsque vous pensez ou lorsque vous lisez ce blog par exemple ? Mais d'où sort cette voix qui ne se prononce pas, qui ne dit mot ? Que penser ? Si notre pensée est mue par une voix intérieure muette au travers de mots et de phrases, alors qu'est-ce qui parle en nous ? Ce n'est ni notre bouche, ni notre langue, ni notre gorge, ni nos cordes vocales, ni notre larynx, ni mêmes nos poumons. Qu'est-ce qui structure le langage de la pensée par cette voix muette mais intelligible par un sens de l'écoute intérieure qui n'est pas l'ouïe ? Aurions-nous une autre langue interne ? Un onzième sens ? Une autre oreille interne ? Où est notre voix, finalement ?
Vaste sujet...
Notre funambule pense donc tout en avançant sur son fil, mue par tous ses ressentis de ses 10 sens, tout en laissant ses pensées divaguer par une voix intérieure muette mais parfaitement audible par une oreille intérieure invisible.
« Lâcher prise ».
Pour un funambule, cela peut vouloir dire la mort. Pour notre système nerveux autonome aussi parfois ! Cette fameuse phrase qu'un ami vous a sûrement déjà dit : « Il faut que tu lâches prise. ». Belle injonction paradoxale... Les Yaka Faucons (« Y a qu'à, faut qu'on ») sont encore nombreux de nos jours ! Et si nous traduisions cela en « respire », « bouge », « relâche », « cherche un autre point d'appui », etc... ? Tout ce que fait notre funambule en somme, pour rejoindre l'autre rive en toute sécurité.
Je m'égare.
Et les émotions dans tout ça ?
Nos émotions sont la traduction d'un appel involontaire intérieur à exprimer une réponse à des stimuli par des symptômes physiologiques hérités de notre généalogie, notre culture, notre éducation et notre vécu. Et comme toute information perçue par le système nerveux autonome est un stimuli, nous pouvons dire que nous ressentons des émotions à chaque instant. Mais ce que nous appelons émotions dans le langage courant sont surtout les émotions fortes qui déclenchent des symptômes physiologiques visibles par nous-mêmes et les autres.
Cette carte de la vascularisation des zones du corps en fonction des émotions et sentiments ressentis est d'ailleurs assez parlante.
Nos émotions sont donc un indicateur de l'intensité et de l'enjeu psycho-affectif que nous percevons d'un stimulus, et nous aide à réguler cet enjeu grâce à un signal physiologique clair.
« Tout ce qui ne s'exprime pas, s'imprime dans le corps », Carl Jung.
Ainsi, réprimer une émotion est l'équivalent en automobile d'éteindre le voyant rouge du tableau de bord. Le déni est une formidable protection psychologique. Et parfois le temps n'est pas encore venu de pouvoir accueillir une émotion sereinement. Un peu d'auto-empathie pour ça aussi ! Plus nous apprendrons à considérer nos émotions comme nos alliées, plus nous trouverons de la sécurité intérieure pour les accueillir sereinement, les écouter, les accepter pour changer ce qu'il y a à changer dans notre vision, nos croyances et nos comportements.
Ainsi, pour vous aider à trouver plus de sécurité émotionnelle, je vous invite à penser à ces points :
vos émotions sont l'expression physiologique d'une réponse à un stimulus
vos émotions sont donc vos alliées dans la vie car elles vous renseignent sur ce qui vous touche profondément à cet instant
vous pouvez les écouter en toute confiance
ce qui peut vous mettre mal à l'aise ou même vous faire peur sont les conséquences physiques des symptômes de ces émotions fortes (tachycardie, difficultés respiratoires, mal de tête, mal au ventre etc...), et/ou le regard des autres et de vous-même (« je ne devrais pas pleurer ici », « je ne dois pas montrer que j'ai peur maintenant » etc...)
la première chose à faire, c'est de RESPIRER calmement et profondément, afin d'apaiser votre système nerveux. Vous pouvez mettre une main sur le ventre et une sur le front en même temps. Si vous le pouvez et si cela vous sécurise, mettez-vous dans un endroit à l'écart, ou si vous avez besoin d'aide, demander à quelqu'un de confiance de vous accompagner.
Ensuite vous pouvez suivre ces trois étapes :
1/ Verbaliser dans votre tête ou à la personne qui vous accompagne ce que vous percevez de la situation qui a déclenché l'émotion.
2/ Nommer l'émotion : « j'ai peur », « je me sens terriblement triste » « j'ai tellement honte ». Verbaliser permet de mieux prendre conscience.
3/ Essayer de décrire de quoi vous auriez besoin là, tout de suite. Boire un verre d'eau ? Vous asseoir ? Qu'on vous prenne dans les bras ? Crier ? Vous pouvez ensuite affiner à la situation ou l'élément déclencheur : « dans cette situation, j'ai besoin... d'aide, de sécurité, de reconnaissance, de partage, de justice » etc...
Déjà ces étapes vont considérablement améliorer votre « gestion » des émotions et pouvoir affiner votre analyse de la situation.
En Communication Non-Violente, on parle de 4 points clés :
O pour observation. Qu'est-ce que j'observe factuellement dans cette situation ?
R pour ressenti. Qu'est-ce que je ressens là maintenant ?
B pour Besoin. De quoi ai-je besoin maintenant ? De quoi aurais-je besoin dans ce genre de situation à l'avenir ?
E/D pour Expression/Demande. Y a-t-il quelque chose à exprimer encore ou à demander à quelqu'un pour améliorer la relation, pour un futur relationnel plus harmonieux ?
D'autres méthodes comme l'EFT, la PBA ou la sophrologie sont efficaces à chaud dans la gestion émotionnelle.
De mon côté, je travaille « à froid » le plus souvent, avec la kinésiologie, et utilise également la CNV dans les thématiques relationnelles et systémiques.
Je terminerais en rappelant une loi, celle de l'Hormèse. Respecter ses limites en faisant preuve d'auto-empathie et d'écoute c'est bien. Écouter ses émotions c'est super. Mais c'est dans l'expérience de la nouveauté et d'un certain inconfort passager que l'on apprend le mieux à s'adapter et à évoluer. Tant que cet inconfort est calibré sur nos capacités du moment. C'est ce à quoi la loi de l'Hormèse nous invite. Chercher à repousser la limite de notre capacité adaptative, petit pas après petit pas, comme notre funambule qui avance sur son fil.
On peut essayer ce principe dans tous les domaines : chaud, froid, respiration, apnée, effort physique, sommeil, concentration, cognition, nos 10 sens, relationnel etc etc...
Nous sommes des êtres d'apprentissage, au potentiel si vaste que nous ne pouvons pas mesurer son échelle. Reste à accepter de faire le chemin qui nous mènera là où nous pourrons connaître des choses de nous-mêmes que nous n'avions même pas soupçonnées.
Continuons donc à funambuler sur notre fil, avec joie, confiance et souplesse !
Bonne suite à tous, et prenez soin de vous !
Adrien
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